Tropisme Lyonnais
1979-1982

Fin 1977, confronté à un avenir incertain, je prends deux décisions radicales, déserter les bancs mélancoliques de l’université Lyon II et acheter un appareil photo professionnel. Entre le Minolta SRT 101 et le Nikon EL-2 présentés à mon regard interrogatif, le choix fut cornélien pour un jeune homme à l’époque peu entiché de technique mais mon intuition me guida finalement vers ce dernier, avec l’assentiment du commerçant, classieux quinquagénaire à la barbe poivre et sel et qui aura ce mot : « Vous visez haut, mais juste ! ».

Désormais inséparable de mon boîtier équipé d’un 35 mm, parfois d’un 50, j’ignorais qu’il allait devenir plus qu’un appareil photo, un outil destiné à la rencontre de l’autre et donc de moi-même, forcément. Tonifié par l’appréciation stimulante du vendeur, j’allais arpenter quatre années durant ma ville natale, sur les traces des photographes que j’admirais, essentiellement les apôtres de ce que l’on nomme encore aujourd’hui la Street photography.

La banalité du quotidien était la matière première de ma joie à saisir des moments de vie au cœur de la ville aux effluves romains et florentins. Mon besoin d’intégrer le réel était la justification de mes échappées belles. J’ai écumé la capitale des Gaules tel un capitaine de navire un peu pirate sans boussole, et voilà que la rue m’offrait son cortège de spectacles comme un cadeau, il fallait tenter d’en saisir l’instant et le fixer dans ma boîte à images.

Images qui, en les revisitant, me paraissent d’une autre époque voire même d’un autre auteur ! La Place Carnot avec son marché aux chiens - mon rituel dominical - , la rue Mercière étroite, sale et sombre, la Cathédrale Saint-Jean et sa façade noire avec ses clochards sur le parvis, les Arondes et autres Panhard, les bus Saviem, les camions Berliet, les trolleybus et les déraillements fréquents des têtes de perche aux bifilaires, le Lézard vert du Parc de la Tête d’or, la bouillonnante gare des Brotteaux, les rames de métro orange, les premiers TGV orange, les flics aux képis blancs, les pantalons pattes d’éph’, autant de lieux, de modes et d’évènements extraits d’un passé révolu. Cependant, je peux dire presque fièrement, et donc un peu sottement : « J’ai vécu ça ! ».

J’allais au gré du vent, comme sur un nuage d’inconscience, sans contraintes, sans plan préconçu (les thèmes en immersion viendront plus tard), avec pour seule obsession la quête de « l’instantané » - choisir le moment qui saute aux yeux et expérimenter ce que l'éminent photographe Claude Dityvon nommait «la liberté du regard».

En cela, Mes années Lyon 1979-1982 correspondirent sans doute à une période quasi initiatique, jeune photographe évoluant tel un héliotrope déterminé à croître et assujetti à ce tropisme lyonnais. Quoi qu'il en soit, ces années furent fondatrices dans la révélation et l’exercice ultérieur de ma vocation. Puisque fin 1982, j’acquiers mon premier Leica à télémètre, m’engageant à changer d’air et prêt à proclamer, un brin crâneur : « A nous deux, Paris ! ».

Mais ça, c’est une autre histoire.

Jean-Marc Coudour
Hiver 2024